Idées et connaissances 1

Idées et connaissances 1

Les conduites de production et d'acquisition des connaissances.
Dans nos sociétés modernes abreuvées de communication en tout genre et sur tous supports, radio, télé, Internet, magazines, quotidiens, livres, sans oublier les abondants récits de nos collègues ou de nos proches lors de nos pléthoriques vies sociales, tout le monde sait maintenant des tas et des tas de choses : on a des connaissances.
J'appelle « idée » une intuition, un éclair (de génie ou non !) qui nous vient un beau jour, à propos, le plus souvent, d'une question qui nous intéresse depuis un certain temps, à l'occasion d'une rêverie personnelle, ou, souvent, dans l'entrain d'une conversation. Avec une définition si vague, tout le monde a bien sûr tout le temps des idées, quoique dans des domaines propres à chacun. Mais – de ce point de vue – l'idée a cette particularité d'être intime à chacun d'entre nous. J'appelle « connaissance » une idée qui a franchi l'étroite frontière de l'intimité pour tomber dans le domaine public : une connaissance désignera ici une idée partagée par du monde, du petit groupe amical ou familial à la société entière.
Ainsi définies, une première distinction entre idée et connaissance est déjà possible. Nous avons tous des idées et des connaissances, et même, nous produisons tous des idées. Mais voilà, nous ne produisons pas tous des connaissances. Idées et connaissances trouvent ici leur première différence fondamentale : il y a des gens qui ont mis au point la résolution des équations différentielles, le calcul du thème astral, la reliure plein cuir ou la chiromancie, et toutes les autres personnes, ont, elles, appris ces choses là, dans des études, des livres ou au contact d'autres personnes. Certains proposent, d'autres apprennent.
Nous donnerons ici une description de la conduite du producteur qui lui permet de transformer son idée intime en connaissance partagée dans la société, et de la conduite de l'acquéreur lorsqu'il entreprend d'apprendre une nouvelle connaissance.
1 – COMMENT PRODUIRE UNE CONNAISSANCE
Que signifie faire passer une idée au statut de connaissance ? Nous avons défini une connaissance comme le passage à la limite de diffusion : l'idée devient connaissance quand elle est partagée. Le producteur potentiel de connaissance doit donc partager, c'est à dire diffuser, son idée. Nous qualifierons de « validée » une idée qui a passé avec succès la procédure de validation qui transforme une idée en connaissance, et cette procédure est celle de la diffusion de l'idée et son adoption par le public.
Et là, il y a deux possibilités, car il y a deux sortes de producteurs de connaissances. D'une part il y a les particuliers, comme vous et moi, d'autre part il y a les chercheurs professionnels, payés par l'état pour produire des connaissances.
Bon. Les chercheurs ont des idées dans leur travail, comme tout le monde. Mais pour leur faire acquérir le statut très enviable de connaissances, ils ont deux débouchés, liés à leur statut de producteurs « institutionnels ».
Le premier est de s'adresser à leur pairs, les autres chercheurs. Pour transformer une idée en connaissance au sein même du corps des chercheurs, la procédure de validation est extrêmement complexe, et tient principalement au sévèrissime système des « publications scientifiques », des sortes d'articles pré-codifiés au paragraphe près, adressés à des revues spécialisées internationales vendues exclusivement aux bibliothèques internes des universités [cf. prochain article consacré à ce sujet, dans pasbanal.com]. Dans sa profession, un chercheur n'acquiert quelque valeur que s'il réussit à publier dans ces revues. « Publish or perish » disent nos amis anglosaxons. En raison de l'impitoyable sélection appliquée par les comités de spécialistes de ces revues, seul un nombre infime d'idées finissent par acquérir, dans la recherche, le statut de connaissance. Inversement, elles jouissent alors du prestige d'être enseignées à la fac aux étudiants, un certain nombre d'années après. Malheureusement, en raison entre autres du circuit fermé de leur production et de leur diffusion, ces connaissances demeurent très majoritairement exclue de toute perception du grand public.
Leur second débouché est de s'adresser directement au public grâce à la presse écrite ou herzienne, ou aux livres qu'ils publient chez les éditeurs diffusés en librairie. La procédure de validation qui fera de leur idée une connaissance se mesure alors au nombre de livres vendus, au nombre d'interview, de citations médiatiques et d'émissions télé ou radio suscitées. La connaissance en question, de par la nature de sa diffusion, est alors une connaissance du « grand public », par excellence. Vous et moi la partageons sûrement, et en tout cas, tout le monde en parle.
La deuxième classe de producteurs de connaissances, ce sont les particuliers, comme vous et moi. Vous êtes juriste ou webmaster, peu importe, mais en tout cas, passionné(e) de graphologie depuis votre adolescence. Vous avez tout-lu-sur-le-sujet, en 4 langues, et vos connaissances étendues vous inspirent maintenant une nouvelle vision du domaine, une avancée : votre idée. Comment faire passer votre idée au stade de connaissance, qui le mérite certainement autant que celles que vous lisez depuis 20 ans ? Là encore, la diffuser. Votre idée sera devenue une connaissance quand du monde la partagera, quand des spécialistes de la question vous commenteront, quand madame Elastaux, votre prof de stretching, vous citera (sans savoir que c'est vous toutefois), quand votre voisin potassera votre nouvelle méthode dans votre livre, quand vous aurez des interviewes et des émissions herziennes, papier ou Internet [cf. prochain article consacré à ce sujet, dans pasbanal.com].
Contrairement aux chercheurs qui pouvaient diffuser au choix soit à leurs pairs soit au public, il ne vous reste que le public. Pas grave, en une nuit d'inspiration ou en 10 ans de travail studieux, vous publiez un livre, et il se vend bien. Compte-tenu de la dynamique événementielle entre médias écrits, électroniques et herziens, vous multipliez les apparitions aux infos, de plus en plus de gens vous connaissent, et certains connaissent même votre idée. En quelques mois, quelques années tout au plus, votre idée est devenue une authentique connaissance, partagée par plein de gens, débattue aux dîners de famille, citée entre amis, mentionnée dans les médias. La deuxième, la troisième édition de votre bouquin voient le jour. On vous traduit en 15 langues : votre idée a passé le test de diffusion, seule et unique procédure de validation disponible hors de la recherche.
2 – COMMENT ACQUERIR UNE CONNAISSANCE
Après avoir examiné comment un producteur de connaissance peut valider son idée en connaissance, passons à l'acquéreur de connaissance : demandons-nous comment une personne avide de connaissances peut s'en procurer ? Là encore, il y a plusieurs cas de figure, suivant que l'acquéreur de connaissance et la connaissance en question sont à l'intérieur ou à l'extérieur de la recherche.
Le cas le plus simple : acquéreur et connaissance sont dans la recherche, sur le même thème. Les chercheurs qui veulent acquérir des connaissances dans leur domaine de recherche disposent de toute la logistique humaine et infrastructurelle de leur laboratoire. étant donné que l'étape d'acquisition des connaissances est la première du processus – très encadré – de recherche, elle y porte même déjà un nom : la quête de connaissances s'appelle la « bibliographie ». Toute recherche commence par une bibliographie. Les « publications scientifiques » sont à la disposition des chercheurs à la bibliothèque de leur unité de recherche, leurs collègues les orientent, et surtout, le moindre article publié leur donne des dizaines de nouvelles références à lire. Une bibliographie est généralement achevée en quelques mois.
Et maintenant, une première complication : l'acquéreur potentiel est ou n'est pas dans la recherche, peu importe, mais en tout cas la connaissance qu'il convoite, elle, ne l'est pas : vous êtes chercheur au CNRS en bio-imagerie fonctionnelle, ou peut-être assistante sociale, ou éventuellement plombier, ou peut-être avocat(e), comment donc apprendre le calcul d'un thème astral, la kinésiologie holistique ou la psychanalyse ? La solution est encore assez simple : il ne vous reste qu'à acheter des livres grand public des producteurs de ces connaissances (ou de leurs commentateurs), des magazines grand public, et aussi maintenant, surfer. Les connaissances que vous dispenseront ces supports ont subi avec succès une procédure de validation par diffusion en masse, qui les a fait passer d'idée intime de leur auteur à une connaissance partagée par nos concitoyens intéressés, un vrai domaine à apprendre, où acquérir des savoirs à partager et éventuellement même à enseigner à autrui.
Et maintenant, une ultime complication : l'acquéreur potentiel est chercheur, et la connaissance qu'il convoite est dans la recherche, mais extérieure à son domaine de spécialité. Ou encore, le résultat étant le même, l'acquéreur n'est pas chercheur, et la connaissance qu'il convoite est dans la recherche : vous êtes chercheur à l'Université de Provence en bio-imagerie fonctionnelle, ou peut-être assistante sociale, ou éventuellement plombier, ou peut-être avocat(e). Comment apprendre la pharmacologie des benzodiazépines ou les propriétés thermiques des quasicristaux ?
Premièrement, vous pouvez acheter les livres des chercheurs disponibles en librairie, comme vous l'auriez fait pour le calcul du thème astral. Il y a des livres sur tout sujet imaginable et vous trouverez forcément votre bonheur. La plupart du temps, les chercheurs expliquent honnêtement leur recherche dans leurs livres, mais vous prenez un risque : nombreux sont les livres où le chercheur profite de l'absence de contrainte pour étaler des opinions qui s'éloignent fort de la connaissance qu'il a par ailleurs produite en recherche. Avec un peu de chance, vous aurez à la fois ses convictions et ses connaissances, pour le même prix.
Deuxièmement, vous pouvez acheter des magazines grand public, et aussi maintenant, surfer. Mais là, l'écueil est plus terrible encore : la vulgarisation n'a pas le temps d'attendre qu'une connaissance soit validée par la recherche, car cela prend des années. Elle va donc chercher l'info directement auprès des chercheurs, et non pas dans le stock des connaissances validées : ce qui est vulgarisé, ce sont donc très majoritairement les idées des chercheurs, au sens défini plus haut, non leurs connaissances.
Enfin, puisqu'une connaissance de la recherche a été produite dans et par la recherche internationale, la seule façon d'y avoir un accès direct est d'aller la consulter elle en personne, c'est à dire la « publication » où elle est sortie. Mais là un petit conseil : les « publi » toutes fraîches n'ont passé que la moitié du test de validation interne à la recherche, en l'occurrence la barrière éditoriale de la revue spécialisée qui les a acceptée (la très bonne vulgarisation fait parfois l'effort d'atteindre cette première étape). Car elles sont encore en attente de leur critique mondiale par tous les spécialistes du domaine. Aussi, le plus sûr est-il encore de consulter les publis de « revue », c'est à dire celles qui présentent l'état actuel d'un domaine, en analysant et critiquant tous les articles publiés sur le sujet.
Le seul écueil à cette dernière démarche, c'est que les gens ignorent généralement l'existence d'une différence entre une connaissance de la recherche et une connaissance du public. Ils n'ont donc pas l'idée d'enquêter sur la source de la connaissance qu'ils convoitent. Mais pire encore, les rares qui connaissent cette distinction sont cruellement freinés par la confidentialité des fameuses « publis » de recherche. Il y a 10 ans encore, la mission était quasiment impossible, car les bibliothèques de recherche ne sont ouvertes qu'aux chercheurs. Mais depuis Internet, un miracle s'est produit : de plus en plus d'articles de chercheurs sont en ligne sur le net. Non seulement vous ne vous déplacez plus dans les bibliothèques, mais vous ne prenez plus le risque d'être refoulé à l'entrée ! Internet est donc en passe de devenir la première fenêtre de l'histoire de l'humanité sur la source des connaissances de recherche, qui, de Newton à S.J. Gould étaient hélas toujours restées inaccessibles.

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