Eternel Amour

Eternel Amour

L'amour, le vrai, est unique. Soyez attentifs..

Ici je me tiens. Je récite ces mots, doucement, presque silencieusement. Je sais que personne ne peut m'entendre, mais je parle tout de même le langage du vent, mes mots sont presque impalpables. Je suis excité, et incroyablement effrayé à la fois. Jamais je n'aurais imaginé que cela m'arriverait. Je vais la revoir. Mon amour, mon seul amour.
Je l'ai recherchée durant les dix-neuf années qui précédèrent notre rencontre. Bien entendu, j'ai connu des filles dans mon adolescence. Nous avons fait tout ce que font les jeunes de cet âge, nous avons fait ce qu'ils ne sont censés faire que plus tard, et nous avons fait ce que nous aurions du avoir fait depuis longtemps. Je les ai aimées, elles me l'ont rendu véritablement. Je les ai respectées, et mon respect était miroité.
Mais elles n'étaient pas elle. Elles n'étaient pas ma destinée. Sans elles, je pouvais vivre, sans elles, je pouvais respirer, je pouvais sourire. Sans elle, je ne suis rien. Je ne suis personne, je n'existe pas.
Heureusement, tout cela est aujourd'hui fini. Je vais la revoir enfin. C'est pour cette raison que je suis ici. Nous allons nous revoir, elle se jettera dans mes bras, me souriant ; et elle m'embrassera. Nous resterons là, béatement, les yeux de l'un dans ceux de l'autre. Nous regardant, nous émerveillant l'un de l'autre. Depuis tout ce temps, durant lequel elle était partie, je n'étais plus qu'une épave, flottant sur cet océan tourmenté qu'est la vie. Je me suis échoué sur une île déserte, nommée dépression, et dont les principaux axes sont l'alcool, la perte d'amis les plus chers, et la conscience de soi. Sur cette île, j'ai compris qu'elle était ma raison de vivre, et qu'en la laissant partir seule, j'avais commis la plus grande des erreurs.
Mais tout cela appartient déjà à hier. Aujourd'hui fut un nouveau jour. Pour commencer, je n'ai pas bu. J'ai décidé de rester sobre. Je suis allé au travail, j'ai donné ma démission au patron qui la prit sans discuter. Sans doute l'avait-il vue venir bien avant moi. Peu importe. J'ai dit au revoir à maman, lui disant que j'allais la retrouver. Mais lui promit qu'elle serait tous les soirs dans mes prières. Elle m'a simplement regardé, de ce regard qu'ont toutes les mères persuadées qu'elles vont perdre leur enfant à la minute où il franchira le seuil de la porte et s'est contenté de tracer une croix invisible sur le front. Elle me murmura que Dieu seul saurait me montrer le chemin. Je l'aime, ma maman. Mais pas autant que ma perle, ma raison d'exister. La bible dit que la femme quitte ses parents pour aller s'établir avec sa moitié, mais le contraire n'est-il pas tout aussi vrai ?
Mon train ne va plus tarder, et je tiens mon billet dans ma main droite. Je sens, à chaque seconde qui passe, notre amour qui se grandit. Qui se gonfle. Lorsqu'il aura atteint son paroxysme, alors nous nous trouverons l'un en face de l'autre. Et nous nous aimerons pour l'éternité.
Mais, peut-être avant de spéculer sur ce qui va se passer, devrais-je confier aux ténèbres de cette dure nuit d'hiver, durant laquelle, chaque brise de vent se transforme en lame aiguisée férocement, les joies de notre rencontre, ainsi que l'horreur de notre séparation.
Pour ce qui est de notre rencontre, elle s'est déroulée au mois de mai. Ma dix-neuvième année, était alors largement entamée. J'allais tout doucement sur mes vingt ans. Elle en avait moins. Trois de moins pour être exact. Lorsque nous nous sommes vus, ce fut la chimie parfaite entre nos regards. Je voyais devant moi, un miroir dans lequel chaque bonne petite partie en moi était entourée d'une lumière bienfaisante et ressortait, aux dépens de tout le reste. Plus tard, elle me confiait avoir ressenti exactement la même chose. Je suppose que c'est ce que l'on appelle le coup de foudre. Lorsque je lui exposai cette théorie, elle me dit simplement que je n'étais qu'un pauvre romantique qui voulait transformer la moindre action en tragédie grecque. Mais je vis, à ses yeux pétillants, que l'idée du coup de foudre lui plaisait de façon démesurée.

Je suis quelqu'un de nature timide. Je n'aborde jamais – ou très rarement – les filles, et en général elles ne se jettent pas non plus à mes pieds. Je suis quelconque pourrait-on dire, mais cela serait faire une grossière erreur. Ma dulcinée, ma promise – dérobée par les caprices du destin – réussit après de nombreuses discussions acharnées, à me convaincre que j'étais spécial. Unique. Et je finis par le croire.
Je ne dis pas être mieux qu'un autre, être bon ou mauvais. Je suis particulier, je ne suis identique à aucun autre. Elle n'est semblable à aucune autre, et notre amour est aussi singulier que les ingrédients qui le composent. De grands philosophes ont, depuis des temps mémoriaux, essayé de trouver une définition à ce mot. L'amour. D'uns disent que c'est la meilleure façon de se faire souffrir, ils n'ont pas tort. D'autres affirment au contraire, que c'est là, le seul secret du bonheur. Ils sont également dans le vrai.
Je ne possède pas de définition qui puisse rivaliser avec ces dernières, mais de cette notion qui restera floue pour les nombreuses générations après moi, j'ai retenu deux choses :
Premièrement, nous en avons besoin pour vivre. Pour vivre heureux en tout cas. Nous ne pourrions exister sans cette chose, invisible, inodore, incolore et sans aucun goût.
Deuxièmement, aussi méfiants que nous essayons d'être à son égard, nous ne pouvons l'enlever de notre chemin.
Mais, nous nous égarons. J'en étais à notre rencontre. C'était à un mariage, aujourd'hui, je ne pourrai vous dire à quoi ressemblaient les mariés. C'est à peine si j'ai souvenance de leurs noms. La seule chose qui soit restée dans ma mémoire ce jour-là n'est autre que le visage rayonnant de mon futur. Son visage. Si doux, si gentil, si profond.
Je me suis approché, et volontairement, quoique totalement contre mon plein gré, je lui décochai un petit coup de coude complice dans les côtes. Elle tourna vers moi le regard outré auquel je m'attendais, puis me contempla un long moment sans rien dire. Ma cousine, qui ne se trouvait pas loin de là, accourut, et entreprit de faire les présentations. J'en retins qu'elle était sa cousine, et que moi j'étais son meilleur ami. Ou était-ce l'inverse ?

Nous nous sommes éloignés du brouhaha de la fête, et sommes allés nous promener dans le petit parc qui était à proximité. Il ne faisait pas nuit, le soleil se couchait à peine ; mais le parc était déjà désert. Poussés par une passion torride et soudaine, nous nous éloignâmes sous l'abri superficiel d'un saule pleureur. Je la plaquais virilement contre le tronc de ce dernier, et l'embrassais dans le cou. Elle éloigna mon visage, me sourit, et ensuite m'embrassa de nouveau.
Il nous était inutile de précipiter les choses et de gâcher ainsi cette harmonie parfaite entre nous, en faisant l'amour là. Comme des bêtes au dehors. Pas pour la première fois.
Elle le savait, et je le savais. Après tout, n'avions-nous pas tout notre temps ?
Nous ressortîmes donc du saule, je la portai dans mes bras, tel un mari faisant entrer sa femme dans leur nouvelle demeure. Je savais que c'était elle, elle savait que c'était moi. Nous étions faits l'un pour l'autre. Il ne s'agit pas de cette phrase – qui est devenue stupide avec le temps – utilisée par les petits coureurs pour faire tourner la tête de la première conquête venue. Pour nous, elle s'appliquait dans son absolue vérité.
Le parc devint notre endroit de rendez-vous. Il devint notre second chez nous.
Un soir, nous nous y sommes retrouvés, chacun avec une couverture. Elle me regarda, je la regardai. Nous avons éclaté de rire en même temps, car chacun de nous savions, ce pourquoi l'autre avait apporté la couverture. Cet endroit que nous considérions autrefois comme un dehors est aujourd'hui le sanctuaire de ma mémoire.
Je l'allongeais alors, doucement, doucement. Ensuite je la regardai. Plongeant mes yeux, brûlants de désir dans les siens, qui étaient plus sereins, mais exprimaient la même envie que moi. Je fis glisser la petite robe légère aux motifs fleuris de ses gracieuses épaules, pour révéler une peau douce comme celle d'une pêche. Sa poitrine, était confinée dans un soutien-gorge rouge, presque rose.

Je ressentis le besoin pour ainsi dire vital, de la libérer. Je le faisais donc, et ils se révélèrent ainsi à ma vue pour la première fois. à mon toucher également.
Nous continuâmes nos caresses, douces, passionnées et si envoûtantes. Puis doucement, s'élevant vers moi, elle me glissa sensuellement à l'oreille : « Je suis vierge, et je te donne mon coeur en même temps que ma pureté. »
Le soleil filtrait au travers des longues et fines branches du saule, qui nous confectionnaient une maisonnette de fortune. Ils se reflétaient sur sa peau, sur son visage, tandis qu'elle fermait les yeux pour mieux s'imprégner de ce plaisir nouveau, presque malsain.
Nous fîmes l'amour, jusqu'à ce que dans une explosion de joie inexprimable, tous deux nous nous écroulâmes sur la couverture. Nos corps enlacés étaient recouverts d'une fine pellicule de sel, due à la transpiration abondante. Les tons orangés de l'atmosphère rendaient cette fin de soirée d'été encore plus magnifique qu'elle n'aurait pu l'être dans toute autre circonstance.
Plus tard, lorsque enfin rassasiés l'un de l'autre nous nous baladions dans l'herbe fraîchement tondue, nous étions insouciants. Jeunes, beaux, heureux.
Je les vis du coin de l'oeil, ils nous hélaient. Elle me supplia de les ignorer et de continuer ; mais bientôt ils nous rattrapaient, nous encerclaient. De jeunes drogués, en manque d'une dose, ils cherchaient de l'argent à tout prix. à tout prix.
Ici je me tiens. Je récite ces mots, doucement, presque silencieusement. Je sais que personne ne peut m'entendre, mais je parle tout de même le langage du vent, mes mots sont presque impalpables. Je suis excité, et incroyablement effrayé à la fois. Jamais je n'aurais imaginé que cela m'arriverait. Je vais la revoir. Mon amour, mon seul amour.

Mon train ne va plus tarder, et je tiens mon billet dans ma main droite. Un billet de vingt-trois centimètres de long, en acier inoxydable. Un billet froid, hostile et à la face dangereusement aiguisée. Presque autant que les lames du vent qui me fouettent le visage.
Ici je me tiens. Au sein des branches du saule pleureur, à l'endroit même où nous avons exploré les recoins les plus secrets l'un de l'autre. Je regarde la pierre tombale, qui me sourit de son air sombre et immobile. Je tends mes bras, de façon à ce que le couteau soit dirigé directement vers mon sein gauche. J'ai répété ce geste des centaines de fois, aussi, n'ai-je aucune peur d'enfoncer la lame profondément. Ressentant la lourde crampe, qui me saisit le coeur.
Et voilà, le train est en marche. J'arrive mon amour. Mon éternel amour.
FIN

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