A ma mère

A ma mère

Nous ne mangerons plus ta confiture de coing. D’abord parce qu’un « crétin » (ce sont tes mots ce jour là) a eu la mauvaise idée de raser le cognassier du jardin. Ensuite et surtout, parce que ta gelée était la meilleure.
Nous ne mangerons plus tes croque-monsieurs si particuliers.
Nous ne mangerons plus tes incroyables coquilles St-Jacques « à la nantaise ».
On n’entendra plus dans la bouche de tes petits enfants “Et allez c’est parti !” quand nous nous chamaillions toi et moi, pour des broutilles dans 99% des cas. Se chamailler on aimait ça, je crois. Même quand on était d’accord sur le fond, on débattait sur la forme !

Tu aimais la forme. Tu y mettais les formes.
J’aime aussi la forme, j’en mets nettement moins que toi…

Tu étais ma boussole quand je me perdais, mon phare quand j’étais dans la pénombre. Combien de fois m’as-tu « pris par le col de chemise » pour me traîner un peu plus loin. Un peu plus loin.

En bonne enseignante tu répétais “La force de l’enseignement est dans la répétition” : j’en suis la preuve vivante !

Avant que papa ne meurt brutalement il y a 24 ans – j’avais 24 ans – tu étais faite de feu et de granit. Ta joie de vivre a pris la foudre pour ne laisser que l’amour de tes enfants et la force de les suivre.

Puis tes petits enfants sont arrivés : Alice ma nièce chérie, Julie et puis Romain, mes loulous.
Tes petits choux…
Tes petits choux étaient la lumière de ta vie, comme tu le répétais à loisir.
“Comment vont mes petits choux ?” ont été généralement tes premiers mots quand je rentrais dans ta chambre.
Grand mère était si fière de vous.

“Comment vas-tu ?” ont presque été tes derniers mots. Tu m’as toujours ménagé, moi le petit dernier. Un petit dernier est nécessairement plus fragile qu’un aîné. Il est vrai que je n’ai pas toujours été un exemple de roche granitique.

Enfin, tes vrais derniers mots, le vendredi qui a précédé ton inexorable chute dans le comas, après que je t’aie dit “je viens demain avec les enfants”, ont été “ah très bien !”. Ton crépuscule fut doux et soyeux, je le sais par mon fréro qui passa derrière moi : tu étais remontée comme une pendule… qui a fini par s’arrêter, calmement.

Romain, Julie, Alice, soyez triste, pleurez toutes les larmes de votre corps car la tristesse est bénéfique. Ne confondez pas la tristesse et le malheur. Grand mère n’est plus : ce n’est pas un malheur mais dans l’ordre des choses. Imaginez un instant qu’elle ait survécu à l’un d’entre vous… quel malheur !

Soyez gais, soyez joyeux, car vous aurez toujours dans un coin de votre esprit une grand mère exemplaire. Elle est maintenant votre phare, toujours allumé là haut, quelque part entre l’espace et le temps.

Vous êtes fait, en partie, de granit et d’ardoise ! Les chocs de la vie se fracasseront sur vous, les problèmes glisseront sur vos lisses échines.

Vivez dans son sillage.
Un sillage d’eau de mer, comme l’aurait voulu son père Gaston, marin par amour de la mer, commissaire par nécessité. Il aimait sa famille, oh oui !
Un sillage d’eau salée, comme l’a dessiné Maria, sa femme, ta maman chérie que tu as accompagné quotidiennement jusqu’à ses 94 ans.
Un sillage de sagesse, comme le fut son père Claude, que Maria a porté tous les jours jusqu’à ses 105 ans.
Que de modèles incroyables !

Au passage, chère grand mère Maria, tu auras eu tort. A ta fille que tu chérissais tant tu disais “oh ma pauvre ! tu n’as eu que des fils et tu n’auras personne pour s’occuper de toi plus tard…”

Bien que tu aies toujours été de bon conseil, nous avons repris le flambeau, François et moi !
Il y aurait tant de chose à dire sur toi, maman.

Une artiste technophobe. Tu seras partie sans savoir comment fonctionne un ordinateur. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de comprendre l’insondable. Ton four à micro-ondes, bien trop compliqué, était arboré d’une notice écrite à ta façon. Ton téléphone était filaire et tu t’asseyais tranquillement à côté pour discuter avec tes amis. Le magnétoscope et le lecteur DVD que nous t’avons successivement acheté sont comme neufs, comme ton téléphone portable que tu avais tant voulu pour te sécuriser. Orange ne te compte pas parmi ses meilleurs clients !

A l’opposé ton art d’aimer l’Art, que tu as enseigné durant 37 ans – plus si l’on compte tes petits choux – fut un exemple de passion durable. L’art dans son ensemble : plastique bien sûr, mais aussi littéraire, philosophique, poétique, comme nous allons l’entendre ensuite.

Seule la musique t’a fait défaut. Il faut dire que papa, armé quotidiennement de son attelle auditive (un casque audio), de ses 4000 cassettes et plus de 600 disques, t’a tout piqué ! Comme il était impossible d’aimer la musique autant que lui, bien que tu l’aies accompagné aux concerts, tu as lâché prise et préféré les arts plus silencieux.

France Culture était ta musique, que j’entendais chaque jour à tes côtés. Des voix, des silences ; des jingles sortis de nulle part !

“Vous écoutez France Culture, il est 10h”

Dans d’autres pièces ou dans la voiture, quand papa n’écoutait pas ses K7 enregistrées la veille, il faisait sonner France Inter, Europe 1 ou RTL. Et puis sur la télé le tour de France (que j’ai toujours détesté), le tournois des 5 nations (que j’ai fini par aimer), la coupes du monde de foot. Ah les rares matches de foot du vendredi soir ! Quels crétins ces programmateurs ! En même temps que Bernard Pivot ?!

Le match était perdu d’avance : papa, François et moi, devions battre en retraite sur une TV voisine car le salon était alors littéraire. Point final !

Et bien sûr j’ai entendu Liszt, Chopin, Bethoven, Mozart, Wagner et toute la clique. Sans oublier notre morceau fétiche avec papa, “Ainsi parlait Zarathoustra !”, que nous nous amusions à écouter très fort pour tester des enceintes, alors que tu pestais, maman, à entendre quelques chose sur TON poste.

Parfois, en compagnie de tonton, qui est parti bien avant toi pour la même raison, on s’écoutait en douce un fabuleux disque de musique militaire américaine. Comme des gosses ! Tu devais bien rire dans ton coin.

Pour cette raison cette cérémonie sera silencieuse. Pour celles et ceux qui le souhaitent, qu’ils écoutent cette chanson que tu aimais tant, Lindberg de Robert Charlebois avec Louise Forestier.

Parce que je veux me souvenir de ton sourir, de ton visage radieux, je finirai sur ta blague préférée, qui illustre si bien cette fine personnalité entre la retenue juedo-chrétienne de Maria “la raisonnable” et l’humour grivois de Gaston “le coquin patron”. Lui riant grassement de ses propres blagues et Maria, dénuée d’humour, concluant chaque audition par un “ah oui en effet !”.

C’est l’histoire d’un téckel qui tourne autour d’un arbre en sentant (sniff, sniff). Puis il s’arrête net et dit :
« chouette un cul !… sniff, sniff… ah ben mince… sniff… c’est l’mien ! »

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